PROLOGUE
Le roi des Voleurs
Durée de lecture estimée : 3 mn [4 mn à haute voix] – Lisibilité : 30/100
Lorsque la cavalcade des nervis du D.U.C. avait retenti, Hylda s’était figée aux aguets. Quand résonnèrent les premiers hurlements, coups sourds et plaintes désespérées, elle s’était enferrée dans un immobilisme des plus résolus. Désormais que le vacarme semblait en passe de déserter les étages inférieurs, à quatre pattes sur le sol d’un boudoir secret donnant sur les toits de l’antique hôtel de hautes passes par une lucarne dérobée, elle s’était approchée d’un faisceau de lattes judicieusement dissimulé sous une couche quasi sédimentaire de poussière et de déjections de surmulots plus ou moins planeurs, quoique crânement sélects. Après avoir péniblement retiré, en bisquant silencieusement, le gros du répugnant cacheton entartré, elle parvint à dégager deux lames de plancher qui se distinguaient légèrement du reste de leurs semblables par la présence d’un généreux nombre de clous. À l’aide de la boucle de sa ceinture, elle se fit un devoir d’arracher une en une, les pointes de métal terriblement récalcitrantes qui verrouillaient la cache qu’elle espérait jusque-là inviolée. Mue par une force surhumaine, la goule s’acquitta de sa besogne sans grande difficulté en dépit de ses sourds grognements. Une fois la trappe prestement retirée, elle extirpa de l’antique planque, un lourd et long paquet oblong, soigneusement emmailloté dans des guenilles de satin et de soie ayant appartenues jadis à l’affriolant trousseau intime d’une courtisane mondaine de très haute volée. Ces oripeaux une ultime fois arrachés, apparurent un katana dans son saya d’ébène laquée et un curieux éventail armé de ténèbres. Empoignant avec révérence le sabre à deux mains, elle en dégagea délicatement l’habaki et une petite partie de la lame. L’acier onirique d’aragalve noir à la fascinante gravure irisée scintilla malgré l’obscurité comme pour saluer la déesse qui, dans des temps immémoriaux, l’avait forgée dans le plan de l’Imaginaire en une arme éminemment létale dont le fil improbable était réputé pouvoir se jouer irrévocablement de la protection de toutes les armures. Satisfaite, elle salua humblement l’Hécatombe surréelle avant de la rengainer, pour la poser sur le sol. Avec la même révérence, elle se saisit de l’éventail d’ébène exogène. D’un cinglant coup de poignet, elle en déploya instantanément les pans sublimement ouvragés, prolongés d’une haie d’inquiétantes lames oniriques sombres, le tout formant la plus élégante et redoutable des « mains gauches ». Après avoir replié l’outil offensif de défense, elle le glissa à sa ceinture avant de nouer en bandoulière le sageo de soie noire tressée en longue et solide cordelette, attaché sur plusieurs longueurs au saya de son katana. Éminemment parée, tant sur le plan offensif que défensif, Hylda s’approcha de la lucarne bien décidée, comme au bon vieux temps, à se dissoudre dans les ténèbres nocturnes en jouant, acrobatiquement les filles de l’air volages. Le cri déchirant d’une jeune femme retentit soudain. Sans réfléchir, elle fit demi-tour pour se faufiler hors de son antique refuge. Elle désescalada l’escalier secret qui la mena dans la pièce qui lui avait servi de chambre.
« Cesse donc de vouloir te mêler à tout bout de champ des affaires et du sort des humains !
— Juste un coup d’œil ! » se promit-elle, sans grande conviction.
Se risquant dans le couloir, elle progressa en veillant à éviter toutes les lames indiscrètes du plancher trafiqué. Elle déboucha sans grand déboire sur une plateforme parmi les rares vestiges de la grande galerie mirador qui surplombait jadis le salon de présentation. À l’aplomb de sa divine curiosité, un mystérieux officier en livrée de cuir lustré, aussi noir que sa conscience, tenait négligemment entre deux doigts gantés le menton d’une jolie blonde à la pommette méchamment rougie et au farouche regard céleste. Quelque sbire du ténébreux tourmenteur maintenait rudement la victime, les poignets douloureusement relevés dans le dos tout en la forçant sadiquement à garder la tête dressée au moyen d’un fort cruel tirage de tignasse.