Home » Accueil » Prologue : L’homme Aliquote » Chapitre VII : Le roi des voleurs

PROLOGUE

En Quête de SOI-MÊME

Durée de lecture estimée : 19 mn [32mn à haute voix] – Lisibilité : 31/100

Poursuite et embrouilles…

Descente de lit…

Prise d’armes…

Partie de jambes en l’air…

Réveil douloureux…

En équilibre sur les vestiges d’un balcon suspendu à l’arrière-terrasse du Donna Prima, Hylda contemplait la forêt de tuyères, de tourne-vents et de pavillons qui exhalaient leurs acres panaches de fumée au-dessus des toits des très bas quartiers de Rocameda. Invités à vider leur sublime lieu d’aisance, les convives repus et grisés commencèrent à se disperser dans un joyeux brouhaha. La goule aux cheveux charbonneux profita de ce léger désordre pour prendre fugitivement appui sur le garde-fou et bondir par-dessus le parapet. Ombre parmi les ombres, accroupie au milieu d’un somptueux massif d’immortelles, la brune masquée se faufila en silence jusqu’au mur d’enceinte qui délimitait, tout à la fois, le domaine ducal et le restaurant. En trois appuis, un jeté et un rétablissement, l’acrobate bascula de l’autre côté du muret non sans avoir, une dernière fois, honoré d’un regard acerbe l’éminente coterie. Se laissant lentement glisser le long de la haute paroi, elle se réceptionna en souplesse sur le pavé trop poli d’une traboule négligée qui débouchait sur une succession de marches d’escalier follement usées et méchamment casse-gueule. Couvée par la nitescence argentée de la pleine lune d’Ilrish, Hylda dévala en trombe, les fourbes gradins, brouillant irrémédiablement au passage le pénible reflet que les flaques laissées par la pluie sur la chaussée de la venelle oubliée s’acharnaient à lui renvoyer. Parvenue à l’orée de la ville basse, elle manqua de buter sur un pauvre hère qui n’avait assurément que la faim et la vermine pour uniques compagnes ; la souffrance, l’aumône et la rapine pour seule liberté ; le couteau, la vérole ou le gibet comme fatidique horizon.

« Avec tout l’or dépensé ce soir à l’une ou l’autre des tables du Donna Prima, il y a de quoi nourrir une année durant tout ce maudit quartier, songea-t-elle.

— Ce sont là des affaires vulgaires et bassement humaines ! pontifia la part la moins humaine de sa conscience, il n’appartient pas aux Dieux de soulager les Hommes des devoirs et des obligations qui leur échoient. C’est à eux et à eux seuls qu’il revient de redresser les torts que leurs aveuglements engendrent ! »

Ainsi drapée d’un voile opaque de magnificence dédaigneuse, Hylda se ferma hermétiquement à l’absolue détresse qui, de toute part, l’environnait, poursuivant en toute quiétude sa déambulation chaotique en direction du port fluvial et de ses richesses sous clefs. Au détour d’une ruelle, elle déboucha sur une placette où, en dépit de l’heure tardive, régnait une vive animation des plus curieuses. Elle s’accorda une courte pause, le temps d’observer une horde de gamins loqueteux engagés dans une furieuse partie de « chat perché ». L’un d’eux remarqua bientôt sa présence masquée. Aussitôt, la bande dépenaillée interrompit ses ébats pour se ruer à l’assaut de la spectatrice isolée. Cernée, acculée et bousculée de toute part, des grappes de petits chenapans suspendues à ses basques, Hylda perçut le danger imminant qui, ardemment, menaçait sa bourse. Concentrée sur le salut de son sac en daim, ce n’est que trop tard qu’elle prit conscience de la main experte en passe de décrocher le précieux sésame suspendu à son cou. Son sombre forfait prestement accompli, la bande de garnements se disloqua illico, plantant au milieu de la place soudain désertée la Déesse furieuse des dindes et des farces en tous genres. Parmi la volée de moineaux, la goule outragée jeta d’instinct son dévolu sur une silhouette incroyablement leste et véloce, qui, de manière résolument absurde, s’apprêtait, sans prévention, sans ralentir, et sans appui, à se jeter dans le vide par-dessus le garde-fou.

« Hé toi, rends-moi ça ! »

Sans vétiller et spéculer plus avant, elle se lança à ses trousses, intimement certaine de tenir là son voleur. Parvenue aux abords du garde-corps, Hylda s’arrêta un instant, histoire d’évaluer la situation. Depuis le plateau où elle se tenait, les coteaux maçonnés formaient un dévers ouvert, plus de dix verges en contrebas, sur les toits des bâtisses occupant la plateforme inférieure. Apercevant fugitivement l’ombre du malfrat s’évanouir derrière un faitage, elle s’élança dans le vide. Cinq bonnes toises plus bas, elle atterrit lourdement sur un semblant de terrasse, encaissant le choc d’une roulade sur l’épaule. Sans transition, elle glissa le long d’une croupe passablement cambrée avant de franchir l’espace libre d’un patio d’un long saut de bras amorti de la jambe gauche. Un rétablissement plus tard, Hylda escaladait une tourelle, du haut de laquelle elle put à nouveau aviser la silhouette fuyante du pickpocket présumé. Elle déboula sommairement de son éminence pour, sans autre forme de chichis, se jeter vertement dans le vide. Si ses bottes mirent un temps dramatiquement long avant d’entrer fermement en contact avec le sol, Hylda ne ressentit pour autant ni gène ni douleur susceptible de trahir de quelque manière que ce fut, l’invraisemblable difficulté et le péril avéré de l’acrobatie exécutée. Une fois atterri, elle marqua toutefois le coup, en relevant théâtralement la tête, regard vissé sur l’échine du fuyard, accroupie sur sa jambe droite, jambe gauche tendue sur le côté, bout des doigts de la main gauche posés au sol et bras droit élégamment lancé vers l’arrière. À la suite de quoi, elle se rua à la poursuite éperdue de sa proie. Loin d’être déserte, la rue principale du quartier abritait la faune bigarrée propre aux marchés de nuit composée pour l’essentiel de bonimenteurs, de revendeurs, de baroudeurs, de badauds, d’escrocs et de ribauds en tous genres. Après quelques esquives aussi polies que fastidieusement contingentes, Hylda se résolut à foncer dans le tas au plus grand dam des infortunés carambolés, mais pour le plus grand profit des barbiers, rebouteux, plombeuses de chausses et « linimenteuses » virtuoses entre autres thérapeutes indigènes pas trop distingués. Traçant dans la foule agglutinée un sillage explosif de denrées avariées, de cris indignés, de marchandises dépareillées, d’éventaires éventrés, de gueulades effarouchées et de corps rudement contusionnés, elle commençait à gagner du terrain sur le petit voleur traqué. Se remémorant l’antique topologie du quartier qu’elle traversait, à une allure somme toute fort déraisonnable, elle vira brutalement à tribord toute, en prenant appui sans scrupule et sans ralentir sur le mur opposé de la ruelle orthogonale, envoyant valdinguer au passage, dans une éruption outrageusement criarde de frous-frous et de dentelles atrocement dépenaillées, les vénus dudit carrefour qui y guettaient langoureusement le chaland. Après avoir effacé prestement un large pan de la venelle en pente, la silhouette sombre de la goule déserta cette dernière en engageant à sénestre un vif « passement du voleur » par-dessus une banale rambarde ajourée ouverte sur une fort abrupte dénivellation. Elle se réceptionna trois bonnes verges en contrebas, à une poignée de perches du fuyard. Surpris de voir le danger si soudainement proche de ses délicates fesses, l’individu profita du dénivelé favorable pour arquer le dos et accélérer de plus belle, de manière à placer une carriole rétive entre la goule masquée et ses tendres abattis. Las, cette dernière effaça l’obstacle effarouché avec une folle aisance d’un éclatant saut de chat inversé. Pressée par la virtuosité funambulesque de sa poursuivante, la frêle silhouette pourchassée vira brutalement à bâbord, se risquant dans une longue glissade périlleuse le long d’un fort méchant dévers pour s’engouffrer dans un dense réseau de venelles aussi odieusement escarpé que sévèrement inextricable. Hylda opta pour sa part pour un prodigieux saut de détente qui lui permit d’agripper les ferronneries sommaires d’un balcon sur lequel elle se hissa avec adresse et force élégance. À l’issue d’un époustouflant jeté, elle grippa d’une seule main la planche d’égout délimitant la toiture de la bâtisse. Un rétablissement et un point de situation dominant plus tard, elle reprenait sa course effrénée dans une pluie éclatante de tuilettes et de tuileaux, coiffant carrément le dos de sa cible, relativement insensible du haut des crêtes faitières, à ses diverses basses manœuvres d’évasions. Le brigand abandonna le couvert sommaire des traboules, pour se lancer dans la traversée oblique d’une placette déserte, pavée et rectangulaire. Hylda, à sa suite, prit son envol, le corps en planche horizontale, les bras largement écartelés jusqu’à former une somptueuse croix vivante. En amorçant sa descente, et ce, après un temps de suspension proprement effarant, elle ramena ses jambes sous elle, légèrement vers l’avant. Elle amortit son atterrissage d’une élégante roulade avant, enchainée par un bond félinement surhumain.

« Je te tiens ! »

La dextre d’Hylda venait prodigieusement d’agripper la veste du chenapan. Le gredin, toutefois, avait déjà providentiellement déserté la guenille en question.

« Flûte ! » s’écria la goule avant de s’écraser vertement sur le pavé alors que le coquin s’éclipsait à fond de train dans une nouvelle ruelle.

Quelques vives et fort incisives exclamations plus tard, Hylda lui emboitait vigoureusement le pas. La venelle s’avéra constituer un cul-de-sac catégoriquement obturé.

« Ah, ah ! tu es fait, mon lapin ! »

Sans même un regard pour sa poursuivante, ledit rongeur des villes escalada le mur censé lui interdire le passage avec une facilité confondante et une célérité proprement surnaturelle. Du sommet du rempart, à califourchon sur la corniche, le chenapan s’accorda un court répit, le temps de gratifier son hideuse victime d’un joli pied de nez assorti d’un sourire des plus narquois. Après quoi, il bascula dans le néant. Faute de prises évidentes, Hylda opta pour une ascension mesurée. À l’issue d’un remarquable enchainement de mouvements techniques, elle sortait avec brio de la voie pour s’atteler sans même reprendre son souffle, à la localisation, du haut de l’altière courtine, de son maudit passe-muraille. Si une placette étroite se profilait à l’horizon, nulle trace du coquin n’était perceptible de son point de vue élevé. Après avoir rejoint l’endroit, elle constata, avec amertume et comme redouté, que l’espace ouvert comportait de trop nombreuses issues. Une forte odeur de farine et de levain, un rien brulé, trahissait la présence toute proche d’une boulangerie. Elle remarqua un mendiant accroupi sur le pas de la porte close de l’établissement dans l’attente de l’ouverture, et ce, en dépit de l’heure précoce. L’individu était petit et filiforme. Outre sa stature d’adolescent mal nourri, rien chez lui ne parvenait véritablement à imprimer la mémoire. À des traits singulièrement communs s’associait un visage sans âge, pouvant tout autant appartenir à quelque frais jouvenceau qu’au moins chenu des grisons.

« Homme ! Le bonsoir ! l’interpella-t-elle, n’auriez-vous point aperçu à l’instant quelque mioche chapardeur ! Il a surgi d’ici, et je cherche l’endroit par où il s’est aussitôt esquivé de la place ? » s’enquit l’orgueilleuse divinité couvant sous la mince pellicule de lave solidifiée qui lui tenait lieu d’épiderme.

Le capon adossé à la devanture leva un coin de visage, pour, d’un œil vif, détailler la noble travestie étrangement masquée. Sans un mot il se contenta de tendre la main.

« Hélas, mon ami ! Je n’ai pour l’heure rien d’autre à offrir qu’un simple prénom qui de plus, je le crains, manquera assurément à me définir de quelque manière que ce soit.

— Donnez toujours… Sait-on jamais que je parvienne à me faire ne serait-ce qu’une vague idée de votre intrigante personne.

— Hylda, pour vous servir !

— Quatre pets de Mouche ! Ainsi, vous seriez à la poursuite d’une ombre aussi rapide que le vent ?
— Tout à fait ! L’auriez-vous donc aperçu ?

— Le narquois s’est malheureusement… Évaporé ! Là ! Juste devant mes yeux. Mais, si ça peut vous consoler, vous n’aviez pas la moindre chance de l’attraper ! Surtout dans ce dédale de rues.

— Un narquois, dites-vous ?

— Narquois, estropiés, capons, catins… À chacun, chacune selon son emploi, son talent ou son handicap… Peu importe qu’il soit réel ou contrefait, chaque larron appartient à la confrérie qui lui confère son statut et son rang à la cour du roi des voleurs.

— Vous semblez vous-même bien au fait des us et protocoles en vigueur à la Cour des Miracles.
— C’est que, voyez-vous, il y a fort longtemps que j’écume l’infect sanctuaire de Rocameda. »

Hylda dévisagea longuement son interlocuteur avant de reporter son attention en direction du toit de l’immense hôtel à pan de bois qui se dressait à l’un des angles principaux de la placette.

« Sans paraitre vouloir m’immiscer dans vos affaires, si vous comptez séjourner en ville, il serait plus prudent de renoncer à dissimuler votre visage derrière ce masque. C’est un signe trop distinctif, qui risque vite de faire de vous, une cible bien facile à identifier.

— J’en suis bien consciente. Toutefois, je vous assure qu’en m’aventurant à visage découvert dans les ruelles, parmi le bon et le mauvais peuple de Rocameda, je risque certainement de m’attirer bien plus d’ennuis que vous semblez le redouter. Je vous remercie cependant de votre singulière sollicitude… D’ailleurs, j’oserais affirmer que votre très charitable personne et vos conseils avisés ne sont pas sans, quelque peu, aiguiser ma curiosité… Je gagerais même que notre rencontre était, pour ainsi dire, aussi peu fortuite que… le vol dont je fus victime… Comme si quelque foutue force transcendantale avait œuvré dans l’ombre à ce que nos trajectoires interfèrent.

— Si vous le dites…

— Oh, croyez-moi ! Je suis bien placée pour savoir, combien le Destin, avec son air… de ne pas y toucher, excelle à conduire son petit monde par le bout du nez… Que ce soit à son triomphe comme à sa perte !

— …

— Dans le rayon des “ coïncidences cruellement heureuses ”, jugez plutôt : non contente d’avoir été contrainte de courser en ville le plus insaisissable des voleurs, voilà que je fais opportunément l’aimable connaissance du plus courtois des quêteux, et ce, à une heure indécente, pile-poil devant cette grande bâtisse !

— Je ne vois pas ce que ce taudis peut bien avoir de particulier.

— Il se trouve, que par le passé, à mon retour d’El Sayed, tout auréolée de mon titre de Fushka, j’en fis, un temps mon repère puis mon temple… Cela dit, Hylda esquissa un geste impérieux suggérant son désir éminent de mettre un terme à leur conversation… Proprement charmée d’avoir fait votre connaissance, messire. Nous aurons, j’imagine, le plaisir de nous recroiser.

— Qui sait ? » marmonna le mendiant, alors que l’altière élégante masquée prenait abruptement congé pour s’approcher de l’immense façade passablement décrépie.

Tout en fixant l’un des pignons à redans qui en surplombaient le frontispice, elle se revoyait courant le long des faitières, glissant acrobatiquement sur ces toits d’ardoises pentus, pareille à quelque furtive funambule s’éclipsant de quelque rendez-vous galant. Délaissant l’entrée principale, elle contourna l’antique hôtel de plaisir de haute volée qui, désormais, n’était guère plus qu’une sordide maison qui n’avait de close que le nom. Une fois sur le perron conduisant à l’entrée dite « des accroche-cœurs », elle hésita longuement, cherchant des yeux la discrète lucarne d’où une merveilleuse et fort envoûtante jeune fushka, guettait jadis, les preux et les chalands, venus très clandestinement la visiter en quête de l’une ou l’autre de ses voluptueuses faveurs. Elle prit une profonde inspiration et poussa les deux lourds battants qui condamnaient sommairement « l’entrée des artistes ». L’indicible puanteur, que l’antique taudis lui exhala alors au « visage », manqua de la dissuader de pénétrer plus avant dans les vestiges de l’antre qui avait été le théâtre complice des très lascifs exploits qui avaient émaillé son si glorieux passé de courtisane.

« CuldePet à BarbudoVéner ! Votre fille vient de franchir le seuil de son ancienne tanière, je répète : CuldePet à… » lança spirituellement à la cantonade Quatre Pets de Mouche.

Tout en gambadant le long d’une jolie sente cheminant secrètement au cœur d’un dense sous-bois de fougères arborescentes, le nûment interpellé replaça ses écouteurs sur ses oreilles et sourit.

« Bien, bien, bien !… Il ne nous reste plus qu’à lui souhaiter une prompte et salutaire prise de conscience ! »

Volkano Bely était une élégante ordure brune au nez galamment busqué et à la dentition affreusement gâtée. À l’instar de ses semblables, l’officier-enquêteur de la grande prévôté de la noble cité de Rocameda jouissait d’un esprit résolument dénué de toute humanité, ainsi que d’un gout immodéré pour la violence et l’arbitraire.

« Nous y voilà ! coassa Volkano à l’intention des inquiétants hommes encapuchonnés de ténèbres qui comme lui appartenaient au corps d’élite des Crocs de Vipère, déployez-vous ! »

Aussitôt, quatre nervis venimeux se détachèrent sans un mot pour contourner l’édifice. L’officier fit signe d’approcher au gros sergent de ville qui commandait le détachement du guet chargé de servir de couverture officielle aux basses et viles opérations de la police secrète du D.U.C.

« Au signal, positionnez vos gugusses de manière à boucler le pâté de maisons. Aucun témoin ne doit pouvoir en réchapper… Enfin, je veux dire que personne n’approche, personne ne fuit ! Pour le reste, nous nous chargeons de la sale besogne… Vu ?

— Oui, m’sieur ! répondit le sous-officier.

— Votre torche ! »

Volkano s’empara du brandon, et, le levant haut au-dessus de sa tête, l’agita lentement à trois reprises en direction du beffroi le plus proche. Le tocsin résonna bientôt, se propageant dans tous les quartiers adjacents de la ville basse, intimant l’ordre impérieux à la populace de rester bien sagement cloîtrée chez elle… Sous peine de mise à mort sommaire. À l’injonction gestuelle de leur meneur, les six Crocs de Vipère, jusque-là tapis dans l’ombre, se projetèrent en colonne d’assaut à l’intérieur de bâtiment, en même temps que leurs quatre collègues de derrière, pour se répartir par paires dans les divers secteurs de vie de l’ancien hôtel de passe. L’officier émit un inquiétant sifflement résolument plus ophidien qu’humain. Aussitôt, des cris assortis de bris de mobilier et de portes retentirent, bientôt rejoints par des hurlements de terreurs et de sourdes protestations indistinctement entrecoupées de coups secs et mâts ponctués de plaintes et d’implorations. Ainsi, les occupants assoupis furent-ils rudement invités à vider prestement leur taule pour dévaler, plus ou moins sur leurs deux pieds, les escaliers vermoulus en direction du grand salon défraichi. Lorsqu’un semblant de calme fut revenu, une vingtaine d’humains terriblement effrayés étaient alignés devant un Volkano froidement impassible flanqué d’une dizaine de sombres silhouettes bardées de cuirs lustrés, de triques barbelées et de lames vicieusement suintantes.

« Parmi vous, se cache… un infâme espion œuvrant lâchement pour le compte de factieux à la solde du vil duché de la Léonie. Je pourrais certes opter pour la solution de facilité en exhortant mes fidèles Crocs à laisser libre cours à leur créative barbarie sur l’ensemble de vos répugnantes personnes. À ce sujet, n’ayez aucun doute quant à leur zèle effréné à faire montre ici de leur virtuose expertise dans l’art raffiné d’infliger d’interminables supplices tous plus outrageux, sordides, douloureux, dégradants et abjects les uns que les autres. Le marché est donc celui-ci : soit vous me livrez ce chien, soit je vous livre à mes fiers Crocs de Vipère… Vu ? »

Machinalement, une bonne partie de l’auditoire proprement terrifiée hocha piteusement la tête.

« Bien… J’écoute ! »

Ceci dit, il passa en revue avec une lenteur exaspérante d’horreur glacée chaque otage, prenant un malin plaisir à dévisager chacun et chacune, sans jamais ciller. Il acheva sa mise en condition par une blonde platine aux yeux d’un bleu profond dont l’allure générale semblait crument jurer avec le décor.

« Toi ! Quel est ton nom ?

— A… Avéla, monsieur ! répondit d’une voix blanche l’interpelée.

— Avéla… Eh bien, Avéla, ta trombine morpholétique ne me revient pas, affirma mielleusement le sombre officier, je crois bien que nous tenons là notre espionne Léonide ! »

Lorsque la cavalcade des nervis du D.U.C. avait retenti, Hylda s’était figée aux aguets. Quand résonnèrent les premiers hurlements, coups sourds et plaintes désespérées, elle s’était enferrée dans un immobilisme des plus résolus. Désormais que le vacarme semblait en passe de déserter les étages inférieurs, à quatre pattes sur le sol d’un boudoir secret donnant sur les toits de l’antique hôtel de hautes passes par une lucarne dérobée, elle s’était approchée d’un faisceau de lattes judicieusement dissimulé sous une couche quasi sédimentaire de poussière et de déjections de surmulots plus ou moins planeurs, quoique crânement sélects. Après avoir péniblement retiré, en bisquant silencieusement, le gros du répugnant cacheton entartré, elle parvint à dégager deux lames de plancher qui se distinguaient légèrement du reste de leurs semblables par la présence d’un généreux nombre de clous. À l’aide de la boucle de sa ceinture, elle se fit un devoir d’arracher une en une, les pointes de métal terriblement récalcitrantes qui verrouillaient la cache qu’elle espérait jusque-là inviolée. Mue par une force surhumaine, la goule s’acquitta de sa besogne sans grande difficulté en dépit de ses sourds grognements. Une fois la trappe prestement retirée, elle extirpa de l’antique planque, un lourd et long paquet oblong, soigneusement emmailloté dans des guenilles de satin et de soie ayant appartenues jadis à l’affriolant trousseau intime d’une courtisane mondaine de très haute volée. Ces oripeaux une ultime fois arrachés, apparurent un katana dans son saya d’ébène laquée et un curieux éventail armé de ténèbres. Empoignant avec révérence le sabre à deux mains, elle en dégagea délicatement l’habaki et une petite partie de la lame. L’acier onirique d’aragalve noir à la fascinante gravure irisée scintilla malgré l’obscurité comme pour saluer la déesse qui, dans des temps immémoriaux, l’avait forgée dans le plan de l’Imaginaire en une arme éminemment létale dont le fil improbable était réputé pouvoir se jouer irrévocablement de la protection de toutes les armures. Satisfaite, elle salua humblement l’Hécatombe surréelle avant de la rengainer, pour la poser sur le sol. Avec la même révérence, elle se saisit de l’éventail d’ébène exogène. D’un cinglant coup de poignet, elle en déploya instantanément les pans sublimement ouvragés, prolongés d’une haie d’inquiétantes lames oniriques sombres, le tout formant la plus élégante et redoutable des « mains gauches ». Après avoir replié l’outil offensif de défense, elle le glissa à sa ceinture avant de nouer en bandoulière le sageo de soie noire tressée en longue et solide cordelette, attaché sur plusieurs longueurs au saya de son katana. Éminemment parée, tant sur le plan offensif que défensif, Hylda s’approcha de la lucarne bien décidée, comme au bon vieux temps, à se dissoudre dans les ténèbres nocturnes en jouant, acrobatiquement les filles de l’air volages. Le cri déchirant d’une jeune femme retentit soudain. Sans réfléchir, elle fit demi-tour pour se faufiler hors de son antique refuge. Elle désescalada l’escalier secret qui la mena dans la pièce qui lui avait servi de chambre.

« Cesse donc de vouloir te mêler à tout bout de champ des affaires et du sort des humains !

— Juste un coup d’œil ! » se promit-elle, sans grande conviction. »

Se risquant dans le couloir, elle progressa en veillant à éviter toutes les lames indiscrètes du plancher trafiqué. Elle déboucha sans grand déboire sur une plateforme parmi les rares vestiges de la grande galerie mirador qui surplombait jadis le salon de présentation. À l’aplomb de sa divine curiosité, un mystérieux officier en livrée de cuir lustré, aussi noir que sa conscience, tenait négligemment entre deux doigts gantés le menton d’une jolie blonde à la pommette méchamment rougie et au farouche regard céleste. Quelque sbire du ténébreux tourmenteur maintenait rudement la victime, les poignets douloureusement relevés dans le dos tout en la forçant sadiquement à garder la tête dressée au moyen d’un fort cruel tirage de tignasse.

« Tu vois… ma jolie, cracha le mielleux Volkano, tu ferais mieux de confesser fissa tous tes crimes ! Faute de quoi, tu condamnes tous ces gueux à un lent et pénible étripage… sans oublier un dépeçage en règle et quelques friandises apéritives tirées du même horrible tonneau.

— … !

— Puisque tu t’obstines… »

L’officier vit sa chique coupée, en même temps que le reste de son odieuse personne, par un impérieux coup de Katana oblique. Un geyser de sang noirâtre profita du court laps de temps succédant à la brutale section et séparation de corps de Volkano pour exploser en éclaboussant la prisonnière. La terrible lame noire, qui venait de perpétrer nettement, quoiqu’assez salement, cette haute œuvre, se glissa entre les jambes nues de la jolie blonde souillée. Tout en se redressant à la verticale, le kissaki dudit katana remonta violemment avec, dans son sillage, le reste du sabre d’aragalve. Un cri de douleur inhumain ponctua sa charge effrénée. Hylda, à peine chue des cintres, se remit debout tout en retirant sans effort sa lame onirique du bas ventre émasculé du Croc de Vipère dument empalé qui, se tenant derrière Avéla, la retenait jusque-là fermement prisonnière.

« Attention ! »

Prompte comme l’éclair, la brune bretteuse s’effaça devant l’une des deux dagues brandies d’estoc par un Croc de vipère plus rapide que les autres à se porter à la rescousse de son capitaine. Elle riposta d’instinct d’un sévère coup de boule, renforcé pour l’occasion par l’infrangible métal divin de son masque. Le nez, déjà passablement malmené de l’individu, éclata comme une fraise trop mure. Son propriétaire, ainsi cueilli en plein élan, sentit le sol se dérober irrémédiablement sous ses… genoux, la partie inférieure de ses jambes venant de prendre soudainement leur autonomie par la grâce d’un malicieux coup de sabre porté proprement au débotté. Avant que le reste du spadassin ne s’écrasât grotesquement parterre, la brune lui aéra violemment les bronches d’une charitable trachéotomie exécutée à la volée d’un joli fouetté de son éventail affilé. Dès lors, l’assistance effarouchée, quoique libérée, hurla à pleins poumons sa terreur trop longtemps contenue. Les Crocs de Vipère restants achevaient à peine de se mettre en garde après avoir dégainé leurs sinistres talwar-khukuris, sorte d’épée courte de fonction à gouttière suintante dont la lame recourbée à simple tranchant était aussi acérée qu’un rasoir de chirurgien. Sans hésiter, Hylda se porta à la rencontre des nervis du D.U.C. qui, sans autre forme de procès, l’encerclèrent aussitôt. Les Crocs portèrent les premiers coups avec hardiesse, de taille en façade, et, non sans scélératesse, d’estoc dans les reins. La brune virevolta, écartant là une lame empoisonnée d’un cinglant revers de l’éventail, sectionnant ici d’une seule ample coupe diagonale remontante le poignet, le tronc, et l’humérus de l’un avec la tête de l’autre, ponctuant son élégant déplacement létal d’un impérial kesagiri descendant qui vint larder profondément le dos d’un troisième agresseur. Elle enchaina directement par un magistral coup d’estoc qui gratifia sa prochaine victime d’un généreux empan d’acier aragalve entre les deux yeux lui tranchant net, au passage, le tronc cérébral, le fil des pensées et, accessoirement, celui de l’existence. Deux des Crocs de Vipères restants chargèrent vaillamment les reins de la goule tout en hurlant leur rage et leur frustration. Hylda dégagea promptement la lame de son katana du crâne de sa dernière hostie d’un simple pas glissé en arrière. Ce faisant, elle pivota à demi. Le talwar court du premier Croc frôla l’abdomen d’Hylda alors qu’elle frappait d’estoc et à rebours le second assaillant. Exploitant la totalité de son avantage d’allonge, le coup infligé pénétra le diaphragme de sa cible avant que celle-ci ne parvînt elle-même à porter d’attaque. La goule enchaina sans délai d’un large et puissant revers horizontal qui acheva d’éventrer sa victime. Sans transition, la lame fatale poursuivit son chemin de mort jusqu’à rattraper l’autre nervi pour le sectionner littéralement en deux au niveau des reins. À l’issue de son élégante pirouette, Hylda se remit en garde, à demi fléchie, jambe gauche en avant, poids sur la droite en retrait, le sabre transversalement tenu à deux mains à hauteur des yeux, dextre par-devant, et poignets croisés. Les deux derniers Crocs restants et la brune sanguinaire se jaugèrent dans une atmosphère sinistrement alourdie par l’odeur du sang frais et les gémissements des rares agonisants. Sans se concerter, les deux sicaires tournèrent prestement casaque pour se ruer mâlement hors d’atteinte de la funeste tornade sombre, sans doute en quête de quelque renfort. En trois enjambées de haute volée, Hylda se projeta sur leurs talons. D’une frappe d’une précision proprement ahurissante, compte tenu de la précipitation un rien affolée de sa cible et des violentes secousses erratiques animant l’ensemble, l’escrimeuse frappa d’estoc au niveau du côté droit de la nuque exposée du Croc de Vipère. La pointe biseautée de son katana disséqua sèchement, entre autres tissus essentiels, l’une de ses deux carotides. Le nervi gaucher porta la dextre à son cou dans l’espoir futile de juguler le flot carmin qui giclait de manière explosive de la plaie béante avant que le reste de son corps déséquilibré ne s’abatte sur le sol, histoire d’agoniser posément dans un écœurant gargouillis. Hylda sauta lestement par-dessus la dépouille du prédécédé qui encombrait le couloir et accéléra. Le dos sans défense de l’ultime spadassin vipérin tentait de son côté de dépasser des jambes qui jusque-là le supportaient sans rien dire. Un magistral coup oblique descendant asséné à la volée, en pleine course et à vitesse maximale, vint couper court à cette tentative singulière de débordement forcenée. Proprement tranché de l’épaule droite au testicule opposé, le dernier croc de Vipère n’eut guère l’occasion d’exprimer ni son émoi ni sa souffrance avant de se répandre grossièrement sur le plancher douteux de l’entrée de l’ancienne maison de tolérance. Interrompant brusquement sa charge fatale à l’orée de l’huis principale, Hylda tendit l’oreille tout en s’imposant une stricte quoique souple et fort élégante immobilité.

« Vous avez entendu, chef ? tenta timidement de l’extérieur du logis une voix chantante dont la tessiture trahissait l’inexpérience zélée.

— C’est le bruit de mon poing sur ton crâne vide que tu vas entendre, si tu continues à l’ouvrir, gamin ! On s’en tient aux ordres ! Vous vous contentez de boucler le quartier et surtout votre claque-merde ! »

Rassurée par les imprécations du sergent du guet, Hylda essuya son sabre sur l’une des jambes anormalement espacées du dernier gisant, tout en s’éventant furieusement, histoire de chasser quelque peu les immondes miasmes morbides du terrible carnage. Rebroussant chemin le long du sillage sanglant laissé par son épouvantable occision, elle rangea à sa ceinture son éventail replié et rengaina son katana, avant d’en réajuster le saya en bandoulière, d’un savant nouage. Lorsqu’elle retrouva la blonde platine aux yeux bleus et ses autres compagnons d’infortune, ces derniers, tassés dans un recoin de l’ancien salon prodigieusement épargné par le bain de sang, la dévisagèrent avec effroi.

« Vous êtes blessée ! » s’alarma Avéla.

La goule masquée suivit le regard affolé de la blonde. Son propre sang jaillissait de son aine pour inonder copieusement sa cuisse. 
« Comment est-ce possible ? » s’écria Hylda avant de s’effondrer sans connaissance.

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Hylda ouvrait péniblement les yeux. L’odeur, l’humidité ambiante, la voute basse et crasseuse, jusqu’à l’espèce de rongeurs qui constituaient l’essentiel de la faune autochtone, tout indiquait, de fait, qu’elle se trouvait allongée sur le pavé mouillé d’un collecteur d’égout. Elle se redressa sur le coude, peinant à faire le point sur son proche environnement du fait d’un état fort insolite de faiblesse générale. Non loin d’elle, Avéla dormait en position fœtale, profitant de l’inconfortable hospitalité « oreillère » de ses propres genoux. Dérivant plus ou moins activement au gré du courant qui animait mollement la rigole du collecteur, une fort prospère famille de mégalomulots amphibies opérait sa migration hebdomadaire. Hylda s’empara du pichet de céramique grossière posé à côté de sa paillasse, le porta à son nez et renifla avec méfiance. Rassurée par l’absence de particularité notable quant au contenu de la cruche, elle étancha avidement sa soif de rat. Désaltérée, la goule profita de la maigre lueur de la lanterne souffreteuse qui éclairait la scène, pour passer en revue son état général, à la recherche d’une cause physiologique patente à son profond accès d’adynamie. Le cuir du plastron qui protégeait son buste était lacéré en plusieurs endroits, dont une ample et profonde déchirure au niveau de l’aine qui dévoilait un gros pansement compressif fait de charpies et de savants bandages enveloppant son mince abdomen. Pour autant, elle ne ressentait, outre sa préoccupante hypotonie, aucune douleur ou gêne particulière. Elle porta ses mains, toujours gantées, à son visage. L’absence du cache-misère divin qui préservait la création de son atroce hideur suscita une bouffée de honte et de panique vite dissipée à la vue de son masque, de ses armes et de ses effets bien rangés à portée de main de sa couche. Rassemblant le peu de force dont elle disposait, elle tenta de se relever.

« N’allez pas bêtement nous rouvrir cette vilaine blessure ! lança une bouche invisible depuis les ténèbres.

— Monsieur Quatre Pets de Mouche ! constata Hylda en se rallongeant sagement.

— Pour vous servir ! »

Sortant des ombres, le mendiant ramassa le masque d’argent et d’ébène, avant de le tendre à la blessée.
« Merci !

— C’est surtout elle que vous devriez remercier. Sans le point de compression qu’elle vous a prodigué avec un sang-froid remarquable… et sans votre extraordinaire constitution… vous y passiez.

— J’ai tout lieu de croire, hélas, que vous n’exagérez guère… Où nous trouvons-nous, au juste ? s’enquit-elle, en pointant du pouce un autre mégalomulot qui, manifestement aquaphobe, cavalait avec virtuosité, à l’envers, le long de la voute en surplomb du collecteur.

— Six pieds sous terre », répondit le mendiant d’une voix puissante se faisant soudain terriblement d’outre-tombe.

Après avoir poliment laissé la réverbération des lieux faire le reste, il compléta ses propos sur un mode résolument moins théâtral :

« Quelque part en lieu sûr ! Les sbires du D.U.C., sauf, peut-être, les plus fanatiques et décérébrés d’entre eux, ne se risqueraient guère de gaité de cœur dans ces souterrains atrocement malsains.

— Quelle chance dès lors d’être tombée entre les mains d’un mystérieux bienfaiteur !

— C’est plus fort que moi : j’aime porter secours à mon prochain… Sait-on jamais qu’une bonne action envers quelque personne de qualité se voit, avec largesse, fort généreusement récompensée ? »

Hylda soupira en vérifiant dans la poche intérieure de sa veste, la disparition effective de la pochette divine et de la précieuse lettre de change qu’elle renfermait.
« Évidemment !

— Ce n’est qu’un juste dédommagement pour mes services. Par votre faute, j’ai dû trahir mes valeurs et tordre le bras à mes scrupules pour me vautrer dans le scabreux, l’éthiquement discutable, le moralement blâmable, voire l’agissement répréhensible. Tous ces risques pris, sans parler des pots-de-vin versés, des menaces proférées, jusqu’à, parfois, la liquidation sommaire la plus exemplaire, juste pour tirer des sales pattes du guet vengeur, de l’ingrate populace et, plus globalement, pour sauver la mise à une ignoble criminelle monstrueusement sanguinaire, odieuse complice de la plus vile des espionnes. À ce sujet, vous pouvez être sûre d’une chose : vous et votre copine, vous vous êtes brillamment collées dans de sacrés putains de beaux draps.

— Elle n’est aucunement, ni de loin ni de près, mon amie.

— N’empêche que ce sont vos deux binettes qui sont placardées partout en ville. En massacrant magistralement dix Crocs de Vipère, vous vous êtes élevées allègrement au rang d’ennemies d’État.

— Pourquoi, dès lors, vous compromettre de la sorte en nous prêtant aide et assistance, alors que vous pourriez tirer bénéfice en nous livrant aux autorités ?

— J’ai avant tout les cognes en horreur. Ensuite, je nourris une sympathie coupable pour tous ceux qui se dressent contre le D.U.C.. Enfin, j’estime que votre libre contribution à mes œuvres couvrira largement les frais inhérents à votre exfiltration.

— Et pour elle ?

— Souffrez, madame, qu’il m’arrive de faire crédit… pour peu que les personnes concernées présentent des garanties minimales… cette Avéla n’a guère manqué de cran et de sang-froid quand elle s’est retrouvée salement collée dans le pétrin du fait de votre insoutenable légèreté et de votre égocentrisme décomplexé.

— Jolie réécriture de l’histoire ! Sans doute vaudrait-il mieux être sourde qu’entendre pareille ineptie. Il m’avait plutôt semblé sur le moment que c’était elle qui, espionne Léonide à la discrétion toute relative et manifestement défaillante, s’était, toute seule comme une grande, fourrée dans ce fichu pétrin. Sans mon intervention, la belle, et accessoirement tous les innocents qui, à leur insu, lui servaient de couverture, auraient été passés “ proprement ” par le fil de l’épée.

— Intéressant point de vue… qui s’entend tout à fait. Toutefois, son récit est tout autre. C’est au contraire votre intervention qui aurait eu pour fâcheuse conséquence de mettre en danger des innocents qui n’avaient pour seul tort que de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.

— Elle ne manque décidément pas de souffle !

— N’ayant été aucunement témoin de la scène, je ne saurais prendre parti. Il apparaît juste que cette Avéla était bel et bien résolue à mourir en martyre. Un rien radical sans doute, mais tout à fait compréhensible. Il s’agit là d’une attitude fréquente chez les fanatiques de tout poil ! En revanche, je peine à cerner vos propres motivations à vouloir en découdre avec une escouade entière de Crocs de Vipère et son officier.

— L’homme qui la tourmentait avait des dents pourries.

— … ?

— C’est la marque des mignons du seigneur des Aveuglements et je n’ai jamais pu encadrer ce genre d’engeance.

— Je vois ! Aussi, je me félicite d’avoir une dentition irréprochable, plaisanta Quatre Pets de Mouche en exposant un râtelier à l’immaculée perfection.

— L’inverse, pour autant, ne constitue point un gage de sagesse et d’innocence… Mais que faites-vous ? s’alarma Hylda alors que le mendiant venait de sournoisement lui piquer l’avant-bras gauche.

— Ce qui me semble juste et nécessaire à la protection de nos intérêts mutuels, Altesse. Plus vite vos deux personnes auront disparu de la circulation, plus vite je pourrais retourner à mes chères affaires. D’ici là, reposez-vous bien et faites de beaux rêves ! »

Ceci dit, il se redressa et claqua étrangement des doigts. Aussitôt, trois ombres parmi les ombres surgirent de la noirceur.

« Le nécessaire a-t-il était fait ? s’enquit-il souverainement auprès de l’inquiétant trio.

— Tout pareil, comme t’l’as d’mandé, maugréa le plus jeune des trois qui portait les stigmates d’un méchant coup en travers de la tronche.

— Bien ! Vous me les emballez proprement et avec autant de déférences que possible. Ergo action, les aminches ! »

Sans transition, le mendiant tourna les talons. Tout en s’enfonçant dans les viles ténèbres ouatant la trivialité malpropre des boyaux du réseau d’assainissement de la « noble » cité D.U.C.ale, il « s’éthéra » discrètement, se retirant illico de la triste et prosaïque Réalité.