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PROLOGUE

Smoke on the water

Durée de lecture estimée : 2 mn [4 mn à haute voix] – Lisibilité : 28/100

Le canot d’assaut, propulsé par deux vigoureux bancs de nage, s’apprêtait à aborder la grande plage jouxtant les arsenaux lacustres du duché de Brenne. La grève nivelée s’ouvrait ici sur un canal qui reliait le lac de Lossoire à, d’une part, une tétrade de forme-écluses, et, d’autre part, un immense bassin artificiel, lui-même encadré par deux grands moulins. Un bon millier d’ouvriers et de charpentiers, pour autant de soldats, s’activaient autour de trois robustes gabarits de bois de près de vingt-cinq pieds de long, composant les membrures de trois vaisseaux en devenir, reposant sur une série de cales résistantes. Lorsque la proue de la chaloupe vint frotter le fond graveleux de la plage, Miroslav sauta souplement au sol. Aussitôt, les deux solides marsouins qui encadraient Valancio le soulevèrent prestement pour le débarquer sans plus d’égards que d’efforts apparents.

« Tout ceci n’est vraiment pas très prudent, songea Valancio, SMOKE ON THE WATER…, se mit-il soudain à hurler à tue-tête avant d’exécuter, les mains attachées dans le dos et au grand dam de ses gardiens, une pirouette virevoltante enchainée d’un bond et d’un impressionnant grand écart latéral à la mode “ jazz split ”, le tout ponctué d’un redressement prodigieusement instantané assorti d’un tonitruant :

— … FIRE IN THE SKY !

— Mais elle va fermer son CLAQUEMERDE, LA GROSSE COURGE ! »

Une longue et violente secousse tellurique manqua de jeter à terre le sergent major roux. Les carcasses de bois des vaisseaux en construction se mirent brusquement à gémir, alors que d’énormes poutres, inopinément mises en mouvement par le séisme, se balançaient dangereusement au bout de leur chèvre de levage. Pendant que le trémor se stabilisait sur un inquiétant rythme de croisière, un immense maelström s’ouvrit au sein des flots lacustres à quelques encablures de la rive. Tandis que les eaux et les humains paniqués désertaient précipitamment les berges et leurs abords, le centre du tourbillon laissa échapper une grosse expiration des plus fétides. La terre se mit à gronder terriblement en duo avec le mugissement assourdissant des vagues, le tout sous les hurlements terrifiés de l’ensemble des parties prenantes biologiques alentour.

« L’AXYROL ! crièrent en chœur les vétérans.

— Tout juste ! », ricana le dieu hirsute et taquin.

Pour le coup, et sous les regards médusés de l’assistance, ledit geyser gratifia la création, en général, les riverains, en particulier, et, accessoirement, son divin copain pourpre, de l’un de ses plus puissants et fameux rototos. Dans un vacarme proprement assourdissant de soufflerie de forge amfhalienne, le vénérable système hydrothermal propulsa, à plusieurs centaines de verges dans l’air glacé de la caldéra du Lossoire, une colossale colonne d’eau et de vapeur surchauffées sévèrement chargée en tout un tas d’éléments, pour certains terriblement toxiques. Illico, la gerbe brulante se condensa en une mer de brume pestilentielle, un brin vénéneuse, aussi particulièrement opaque que foncièrement corrosive. La bise complice s’ingénia, dès lors, à pousser le dense brouillard sulfureux en direction du chantier. Un à un disparurent béliers, armes, barges, écluses, formes, engins, outils, gabarits, arbres, Hommes et dieu, avalés tous, promptement, par un épais voile caustique, dérobant par là même aux regards indiscrets, toute une foule de préparatifs de nature à jeter le trouble quant à la loyauté du Duc de Brenne.